Dynamiter la Tour. Depuis le temps qu'elle en rêve, l'occasion paraît presque trop belle.
Amaya sait bien qu'elle ne pourra pas la tuer. En théorie. Ce n'est pas dans les règles : même chez les Mendoza, aucun duel à mort n'est autorisé. Mais les accidents arrivent. Ce serait pas la première. Certains se scandaliseraient sûrement qu'une très vieille querelle finisse par du sang versé sur le sol de l'Arène, mais il y aurait de nombreux témoins pour attester que le duel s'était fait dans les règles de l'art et que décidément, l'échiquier recrute parfois de sacrés tarés... "Amaya n'a pas eut le choix, elle n'a fait que se défendre."
Qu'il est beau, ce scénario. Elle traverse les loges en se le repassant en boucle, comme on aiguise une lame, même bien consciente qu'elle ne pourrait pas s'en servir... Pas encore. Ça s'agite dans tous les sens, ici, alors que le programme de la soirée s'enchaîne à un rythme effréné. Sur le papier, ce n'est pas Amaya qui va entrer dans l'Arène. Bien sûr que non. Ses parents l'ont proscrit il y a longtemps. Ils ont peur. Peur qu'elle se blesse dans sa rage ou peur qu'elle tue ? Ils connaissent bien le produit de leurs entrailles : la pomme ne tombe jamais bien loin de l'arbre.
Si rares sont ceux prêts à braver l'interdit pour la faire entrer dans l'Arène, aucun colon du 4 n'est assez stupide pour lui dire non en face.
Elle s'avance dans l'immense couleur menant à l'Arène avec un calme inhabituel. Son timing est parfaitement calculé. Le précédent combattant apparaît dans l'embrasure de l'entrée en boitillant. Il lui jette un regard surpris mais ne s'attarde pas. Elle glisse la main droite au fond de la poche de son jean et ses doigts passent dans les anneaux déjà chauds. L'objet émet une légère vibration à son contact, comme ravi de la retrouver. Sa main gauche se referme sur sa baguette alors que son regard guette l'arrivée du prochain duelliste.
Le voilà. Elle lui barre le chemin et l'homme se fige aussitôt, l'incompréhension et la peur se mêlant dans son regard.

« S-señora Mendoza ? Je peux faire quelque chose pour vous ? »

Elle lui jette une lourde bourse en tissu, remplie de tokens de faveur.

« Oui. Voilà le double de tes gains. Dégage. Si tu caftes, je t'envoie à la Décharge. »

L'homme acquiesce et détale sans demander son reste. Brave gars.
La sorcière se retourne vers l'entrée de l'Arène. Son souffle s'emballe déjà sous l'effet de l'adrénaline. L'excitation remplace le calme - elle ne cherche pas à lutter contre : c'est un carburant comme un autre. Bientôt, elle serait sûrement remplacée par la colère.


Un silence de plomb tombe. Les gradins ne sont qu'à moitié remplis puisque l'affrontement n'était pas sensé avoir quelque chose de... particulier. Il n'y a ni Mendoza, ni Shafiq, dans la loge réservée aux phénix - elle s'en est assurée. Bien sûr, tôt ou tard, l'un de ces lèche-culs irait prévenir un Mendoza. Qu'importe, personne n'arriverait à temps pour empêcher ce duel.
Un temps, ses yeux restent fixés sur la seconde entrée, en face. Elle sursaute presque quand les cris commencent à s'élever : le public éclate d'une soudaine joie qui la prend au dépourvu, sifflant et hurlant sa satisfaction de la voir à nouveau sur le ring.
Un sourire commence à étirer ses lèvres. Alors que ses yeux parcourent les gradins, elle sent un frisson lui parcourir l'échine.

Maintenant, où est la chienne qu'elle ne peut attendre de mettre à mort ?

* italique = en espagnol

Apollonie hait la Cour. Apollonie hait le secteur 4, le Colisée, et tous ces imbéciles oisifs qui lorgnent sur ces divertissements scabreux. N'ont-ils pas assez de la vraie mort ? Comme de l'avoir entendue, le public acclame. Et elle sait. Elle sait que c'est à son tour d'entrer. Elle crache par terre, de dépit ou d'agacement. Peut-être les deux. Taper sur des enfants ne l'a jamais amusée, surtout pas sur celle-ci. Une Phénix. Amaya Shafiq. Le combat est inégal. Pas parce que son adversaire est plus faible (quoiqu'elle l'est). Mais parce qu'il est hors de question de l'abîmer, de la tuer, n'est-ce que d'essayer, ou elle risque de finir au bout d'une corde.

Dès que sa figure dépasse la ligne de l'entrée, l'audience commence à la huer. Evidemment. L’Échiquier n'est pas très populaire, et la Tour encore moins. C'est que son compteur de morts et de victimes concourt très férocement pour la première place, et que beaucoup de ses pairs aimeraient la voir tomber. Au reste, elle n'est pas tellement surprise de constater qu'Amaya est bel et bien venue : aucune chance que la Phénix laisse passer l'opportunité de lui poutrer la gueule. Le contentieux entre elles est trop grand. Ses mâchoires se serrent. Ses yeux clairs ne quittent plus la silhouette de son adversaire. L'air est indifférent, la posture neutre. Elle n'a pas le temps ou l'énergie de se mettre en scène. Il s'agit d'en finir au plus vite, de s'acquitter de sa tâche et de passer à autre chose.

Sans tuer.
Sans blesser de manière irréversible.
Sans mourir, préférablement.

A plein potentiel, et avec tous les moyens disponibles, Apollonie est persuadée de surpasser Amaya à presque tous les niveaux. Mais elle ne la sous-estime pas non plus. La Phénix a une bonne réputation et de nombreux combats à son actif. 

Apollonie n'a rien en mains. Pas de baguette, pas d'épée dégainée ou rangée. Juste une combinaison renforcée et des bottes secrètes. Littéralement. Son pied frappe trois fois contre le sol et ses semelles s'illuminent. C'est encore à l'état de prototype, mais ça devra suffire.

« J'espère que vous prenez soin de Danica. »

Divertir, provoquer, peu importe l'effet des mots, tant qu'ils touchent.

Spoiler:

 
Apollonie se met à patiner sur la surface de l'Arène, puis dans l'air, comme si elle se trouvait présentement sur un balai. Le temps que ses jambes s'habituent à la sensation, et la voila fonce droit vers la Shafiq.  

Les encouragements de la foule se changent en insultes dès que Leroy apparaît de l'autre coté de l'Arène. Elle devait bien se douter qu'elle ne serait pas accueillie comme en terre conquise, bien au contraire. Alors pourquoi se lancer là-dedans ? La question taraude brièvement Amaya, avant d'être éclipsée par la satisfaction d'avoir enfin une chance de lui faire payer.

Visiblement, Leroy ne partage pas cet enthousiasme. Elle a toujours cette posture rigide et ce regard froid. Agir comme une connasse frigide ne suffit pas, il faut aussi qu'elle en ait tous les airs.

Une part d'Amaya regrette que Leroy fasse partie des colons. Elle n'essaira sûrement pas de vraiment l'abimer et retiendra ses coups, par crainte de représailles des Mendoza. Dommage. Pour autant, elle-même ne se retiendra pas : ce genre de femme ne mérite pas un duel honorable. Et même si elle ne l'admettrait jamais, elle se doute bien qu'Apollonie a pour elle des années d'expérience supplémentaires et le fait de n'avoir jamais été mise au placard par une grossesse.

Elle baisse brièvement les yeux sur ces chaussures qui s'illuminent, presque surprise. Mais les mots provocateurs lui font relever aussitôt le menton, un sourire mauvais se dessinant sur ses lèvres. Les pieds bien plantés dans le sol, elle l'attend.

« Salope, je vais te... »

Ce n'est que du blabla, qu'elle laisse sortir en même temps que sa hargne et qu'une vague de magie concentrée dans son poing, venant cueillir la française dans son élan.

Spoiler:

Le métal de l'arme chauffe autour de ses doigts et les runes inscrites sur chacun des anneaux se mettent à leur tour à luire, imitant les bottes de Leroy. Amaya ne la manque pas, son poing venant frapper le ventre de son adversaire avec une brutalité surnaturelle. La foule pousse de nouveaux hurlements joyeux alors que les bookmakers finissent de prendre les derniers paris.

C'est la seule façon de se rapprocher d'assez près, se figure-t-elle. Se faire toucher. Apollonie n'imaginait pas à quel point l'impact serait brutal. Elle a l'impression que ses poumons sont si compressés que l'air n'y rentrera plus jamais. Dans un réflexe de la dernière chance, l'adrénaline et les nerfs la font instinctivement se raccrocher au poing, même partiellement au poignet.

A ce moment, plus rien n'existe. Ni le public, ni les cris, ni les paris, ni le dôme, ni les enjeux. Ses sens sont exacerbés par la douleur qui lui lancine l'abdomen et par l'appréhension de cette force brute qui coule à travers les runes de ce satané poing américain.

Complètement focalisée sur les faits et gestes de son adversaire, sa prise se ressert autour du poing comme pour gêner la garde ou la réplique potentiel. Dans le même temps, ses bottes placées vers arrière amortissent l'impact et lui donnent un nouvel élan pour envoyer un coup de genou en direction des côtes d'Amaya.

Alea jacta est, salope.
 

Spoiler: